Paul, le ballon de basket et les enfants chinois
Avec Paul, on rame. Métaphoriquement.
Avec lui, j’ai passé des heures à regarder la télé. Les JO d’hiver cet hiver, Roland Garros ce printemps, la Coupe du monde de foot cet été. La discussion décolle rarement, le silence s’installe. Parfois il est pesant, parfois non. Souvent, je me sens désarmée, j’attends une accroche qui ne vient pas. Je gère ma frustration. Vouloir « faire », vouloir « que ça avance », finalement c’est mon but, pas le sien. Alors on regarde la télé, ensemble.
Mardi dernier, le moment est sympa, Paul est détendu, nous aussi, on a le temps, on remplit la paperasse qui traîne, on parle de la rentrée, de l’automne qui arrive. Paul me demande si j’ai repris la boxe, oui-c-est-indispensable-pour-ma-santé-mentale, je lui demande si lui il va reprendre le sport, ah-non-non-non-ça-va-non-non-non. Il en a fait, beaucoup, mais c’était il y a longtemps, très. Paul ne sort presque plus de chez lui.
Mardi prochain, on se fait un basket ?
Je prononce la phrase avant même de la réfléchir. Parce que j’aime le basket, parce qu’il fait beau en ce moment, parce que c’est facile à organiser. Pour qu’avec Paul on partage le sport aussi en vrai, pas juste devant la télé. Pour aller voir le soleil, prendre du plaisir ensemble, partager, aimer la vie qui a tant trahi. Pour trouver de l’élan.
Paul dit oui tout de suite, peut-être lui aussi sans réfléchir ?
Super.
Ça s’organise, et si tout va bien mardi prochain nous serons une dizaine à dribbler. Alors j’achète un ballon (avec les sous du travail). 12,99 euros.
12,99 euros un ballon de basket. Sa fabrication a forcément eu des impacts écologique et social catastrophiques. Rejets de produits toxiques dans les rivières, utilisation de colorants chimiques, surexploitation des forêts, salaires et horaires de travail indécents, inhalations de produits par les ouvriers, etc. Mon imagination s’emballe, mais je sais bien qu’elle n’est pas à la hauteur de la réalité. Je sais bien que ce ballon a du sang d’Humains et de Terre sur les mains. Comme celui juste à côté qui coûte le double, de toute façon.
Alors me voilà perplexe.
Si tout va bien, ici-bas, cette partie de basket fera du bien à Paul, Abdel, Claire et Jean-Claude. Si tout va bien, il m’aidera à bien faire mon métier, à continuer à aimer ça. Il mettra du plaisir dans nos vies, et le plaisir, c’est ce qui fait avancer, regarder devant. C’est la vie.
J’aurais pu proposer à Paul d’aller regarder les papillons en forêt (mais je sais pas reconnaître un être d’un frêne), d’aller à la piscine (tiens, j’y ai juste pas pensé), de jouer aux quilles en bois (mais j’aime pas ça, j’aurais eu du mal à transmettre de la passion et du plaisir). J’aurais pu, mais j’ai proposé le basket, et ça a plu à Paul.
Je regarde le ballon posé sur le sol, et je reste perplexe.
Un peu plus de plaisir et de vie ici, est-ce une raison suffisante pour accepter un peu plus de douleur et de mort là-bas ?
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